Cliquez sur PDF (PDF) LES SANCTUAIRES A REPIT EN WALLONIEpar Marcel PIGNOLET (Extrait des bulletins n°11/1985 et n° 12/1986)
Aujourd'hui, quelques-uns de ces narrateurs sont décédés, ce qui rend tous ces souvenirs uniques. Il s'agit de Mme Marie-Josée Maury, MM. Louis Baijot, Jean Bertrand, Tony Delville, Julien Gengoux, Roger Mathelin, Claude Mathieux, Arthur Mousty, Joseph Penning, Emile Perot et Jules Pignolet. _________________________________________ cliquez sur PDF PDF Feuillets d'information n° 56/2004 PDF Feuillets d'information n° 57/2004, extraits. ___________________________________________ Au temps des herdiers AU TEMPS DES HERDIERS Depuis que le nomade s'est fixé dans un lieu pour s'y livrer à la culture et à l'élevage, il a dû pour vivre envoyer ses animaux vers des pâtures de plaine ou de montagne ou même en forêt. Pour diriger les troupeaux et veiller à leur sécurité, des hommes spécialement désignés devinrent indispensables. Pendant des millénaires, les pâtres n'ont cessé d'être les compagnons vigilants du bétail de la communauté et ils acquirent dans cet emploi une grande expérience qui leur valut une considération méritée. Dans les agglomérations rurales, le cheptel était constitué de plusieurs troupeaux communs ayant chacun un gardien différent qui en avait la responsabilité. Le herdier (herdî) s'occupait de la herde ou proye vachine qui était l'ensemble des bêtes rouges par opposition aux bêtes à laine confiées au berger (berdgî). Le porcher (portchî) gardait la sonre ou proye porcine comme elle s'appelait dans les villages français frontaliers. Là où la nécessité le commandait, il y avait le chevalier (tchfalî) pour la proye chevaline et enfin le chevrier (gadlî ou caberdgî) pour la race caprine. Une telle diversité de bandes d'animaux indisciplinés, allant par les chemins étroits à travers les champs cultivés n'était pas sans créer des dommages donnant lieu à une infinité de litiges sur lesquels devait statuer la basse justice. Aussi, sous l'Ancien Régime, l'élection d'un gardien faisait-elle l'objet de laborieuses discussions au vinage, seule assemblée habilité à choisir un candidat. Ce Franc-Vinage était une habitude des anciens Ardennais, un souvenir d'un temps lointain ou la vie patriarcale des populations primitives se concentrait autour de quelques membres d'une même famille qui, par leur âge, imposaient le respect et jouissaient dans la communauté d'une incontestable autorité. Cette réunion qui se tenait à date fixe, le 26 décembre, chez le centenier ou vinagier, le plus ancien chef du clan ou parfois dans un cabaret, rassemblait les villageois convoqués à ces assises. Ce conseil des anciens traitait des questions d'intérêt général et local, arbitrait les différends, nommait les pâtres, instituteur, accoucheuse, gardes forestiers, etc., fixait leurs gages, bref prenait toutes décisions pour administrer convenablement le village et entretenir la bonne entente entre les habitants. Dépendant, non de la commune mais des exploitants, les pâtres étaient de ce fait, élus par voie de vinage. Leur mandat, renouvelable chaque année, ne donnait ordinairement lieu à aucune opposition; le titulaire avait montré ses capacités, on lui faisait confiance; bien souvent il restait en place jusqu'à la retraite. En cas de vacance, les vinagiers accueillaient les propositions des candidats, examinaient avec circonspection les mérites de chacun mais d'ordinaire, le cœur du débat portait sur les rémunérations et la majorité se ralliait à l'avis des plus gros propriétaires. Les obligations du herdier étaient bien définies et son salaire consistait surtout en nature: chauffage, nourriture, logement, menus avantages pour services rendus. Ce n'est qu'après la Révolution qu'il émargea au budget communal et fut payé en espèces. Selon l'importance du troupeau, le herdier était secondé par deux jeunes apprentis: le "scalot" (appelé tirceron ou tisrou, en Ardenne liégeoise) et le "cowlî" qui se tenait en queue de troupeau pour aiguillonner les traînards. "Le mode de rémunération du herdier traduisait à la fois la pénurie de numéraire et le sens familial qui régnaient en Ardenne". (1) En effet, à part une minime redevance de quelques francs consentie par les détenteurs de bestiaux, le pâtre ne recevait aucune rétribution en argent mais il était nourri. Chaque jour, pendant toute la saison, il prenait le repas du soir chez ceux qui le mettaient à contribution. Il "tournait", allant à tour de rôle chez l'un et chez l'autre, selon le nombre d'animaux envoyés à la herde. La veille, il annonçait en suspendant sa corne ou son bâton à la porte de la maison qu'il avait choisie. On l'accueillait comma un invité, sans se soucier de sa condition mais avec les égards dus à un bon serviteur. Il s'asseyait à la table commune, avec éventuellement son scalot, mangeant à sa faim et partageant le menu de tous. Quand il était en froid avec certains, il ne franchissait pas le seuil mais, au départ, on lui préparait une musette un peu plus généreuse pour compenser le souper. N'ayant d'ordinaire aucune famille, ni domicile propre, il logeait chez ses hôtes de passage. En hiver, il vivait dans un taudis hérité de ses parents quand il en avait un, ou dans un galetas juste bon pour y dormir, dans les dépendances d'une ferme. Il soignait le bétail, battait en grange, tuait le cochon, le salait, bref, se rendait utile de cent façons en contrepartie du gîte et de la nourriture. A partir du 1er mai, tous les pâtres attitrés étaient au poste à soleil levant pour assumer leurs fonctions. Le premier départ était toujours laborieux. Mais à force de se côtoyer des heures durant, tout ce monde à quatre pattes finissait par s'accommoder. Après quelques affrontements, le besoin vital l'emportait sur les rivalités. Les caractères s'adaptaient peu à peu à la situation et les récalcitrants comme les dociles se pliaient bientôt à la loi du troupeau. Toutes les bandes d'animaux devaient emprunter un itinéraire précis, imposé par l'administration communale ou forestière: la voye dès vatches, dès tch'faux, le tchemin dès pourcès, la tienne dès gades, le routi, la voye herdale, etc… Ces appellations sont restées en usage dans nos campagnes et rappellent le souvenir de ce temps. En tête de la herde marchait la maîtresse vache (la mwaisse vatche). Elle portait un collier de sonnailles dont le bruit caractéristique la signalait aux autres. Lorsqu'elles allaient en forêt, les bêtes devient être marquées aux initiales du propriétaire et être nanties d'une clochette ou d'un grelot: le "clabot". Celui-ci était un morceau de tôle plié en cône et muni d'un gros clou en guise de battant; il donnait un son métallique et peu harmonieux mais s'avérait très efficace en cas de fugue. Atteintes les terres banales, les "aisances", les bêtes se dispersaient tout en broutant l'herbe fine qui croissait entre les buissons et les touffes de genêts.
(1)HOYOIS G., "L'Ardenne et l'Ardennais", t.II, p.660, Duculot Editeur, Gembloux, 1953. Représentez-vous une centaine de bovins de tout âge, instables, déployés sur plus d'un hectare et vous comprendrez l'utilité d'un scalot. Celui-ci n'avait aucun répit s'il voulait maintenir la cohésion de cette masse errante et indisciplinée. Tandis qu'il s'affairait sur le pourtour pour réprimer toute velléité de vagabondage, son maître, en avant, contenait avec son chien, l'avance de la herde et ne permettait, lui non plus, aucune incartade. Ainsi surveillé, le bétail tondait méthodiquement l'espace occupé et ne progressait que lentement. Aux déplacements continuels des animaux, le herdier jugeait la provende épuisée et libérait une nouvelle portion. A la hauteur du soleil, il savait deviner l'heure. Il se fiait plus sûrement à son bâton qu'il fichait en terre et dont il observait l'ombre. Quand celle-ci indiquait midi, il acheminait le troupeau vers un point d'eau, puis de là, dans un endroit ombragé où il puisse se reposer sans être trop importuné par les mouches pendant les heurs torrides. Les deux pâtres profitaient de cette trêve bienvenue pour sortir la "marinde", faire la sieste ou ils s'amusaient à jouer au "mirlî". Avec un galet de ruisseau, l'un d'eux dessinait sur une grande pierre plate, deux carrés concentriques qu'il partageait d'une croix. Chacun avait trois boutons qu'il devait placer sur la même ligne. Celui qui y parvenait sans que son partenaire puisse s'y opposer avait gagné. C'était le jeu préféré des bergers. Ces lieux, devenus traditionnels dans la profession s'appelaient "prageleux" dans l'Ardenne liégeoise et méridionale, "pragnous" à Herbeumont, "pragnelous" dans les Ardennes françaises. Ils ont gardé ce nom dans la toponymie de nos villages et sont reconnaissables par la présence d'un chêne centenaire ou par quelques arbres groupés au feuillage vénérable. "Fwaire prandgîre" à Bertrix, "pragnir" à Herbeumont, expression habituelle employée par les gardiens d'animaux, est demeurée dans le langage paysan pour désigner le moment attendu de la méridienne. Tout en somnolant ou en poussant les pions sur le labyrinthe, les pâtres ne relâchaient jamais leur surveillance. En novembre surtout, le porcher devait redoubler de vigilance. C'était le mois où les sangliers recherchaient des compagnes pour assouvir leur instinct. Il n'était pas rare qu'ils viennent jeter le trouble dans la sonre et ne parviennent à séduire quelques jeunes femelles domestiques pour les entraîner à leur suite dans les fourrés. Autrefois, un autre danger, plus redoutable, planait en permanence sur les troupeaux: le loup. Il survenait à tout moment. Son apparition semait la panique non seulement chez les moutons mais aussi dans la herde et les gardiens le craignaient tout autant sachant fort bien qu'acculé à la faim ou à la défensive, le loup s'attaque même à l'homme; aussi vachers et bergers étaient-ils toujours sur le qui-vive. Ils n'abandonnaient jamais leur bâton de cornouiller, un solide gourdin ferré, muni d'une lanière pour l'avoir constamment prêt à toute éventualité; non plus qu'un canif à forte lame, bien effilée, toujours à portée de main. Certains même, quand ils allaient seuls dans les pacages éloignés et peu sûrs, s'armaient d'un fusil, car ils ne pouvaient guère compte sur leur chien qui rechignait à se mesurer avec le fauve. Mais ces aventures n'étaient tout de même pas fréquentes et nos pasteurs devaient bien tuer le temps d'une façon ou d'une autre, sans négliger leur service. Ils n'avaient que l'embarras du choix, étant habiles en beaucoup de choses. Homme de solitude, sans instruction ou presque, le berger n'avait pas moins acquis une sorte de science pastorale, transmise par ses prédécesseurs, alimentée de sa propre expérience au contact de la nature sauvage. Il connaissait les maladies du bétail, l'art de les guérir par des médications à base de plantes ou par des interventions dont il possédait le secret. Enveloppé dans une ample pèlerine déteinte par les pluies, la tête protégée par un feutre râpé à larges bords qu'il troquait en hiver contre une casquette en peau de chat, chaussé de lourds brodequins régulièrement graissés, il restait debout, surveillant les bêtes occupées à brouter. Parfois, l'esprit ailleurs, il se prenait à rêver, à soliloquer, à tenir une conversation animée avec des êtres imaginaires. Il avait un cœur simple, semsible à la moindre sympathie. Il vouait une véritable affection à son chien que le lui rendait par un dévouement total et des démonstrations d'amitié. En bon pasteur, il aimait toutes ses bêtes qu'il traitait sans brutalité, mais il avait des préférées. Peu farouches, elles se laissaient caresser et il les flattait avec des noms câlins. Pour les jours de pluie ou de forte chaleur, il s'était construit un hayon qu'il transportait au fur et à mesure de ses progressions successives. Bien abrité, il s'adonnait à toutes sortes de travaux; Il tricotait des moufles ou des bas rugueux, des "stotchès" avec la laine qu'il prélevait lors de la tonte, pour ses services et sue les fileuses lui restituaient après conversion. Habile aussi au crochet, il fabriquait de menus objets, des fichus, même de chauds gilets de laine que des particuliers lui commandaient. Bien peu de pâtres savaient lire, aussi devaient-ils trouver un dérivatif à l'ennui; ils se livraient avec d'autant plus d'entrain à ces activités parallèles qu'elles pouvaient être monnayées. Si les scalots, encore enfants, ne s'amusaient qu'à des passe-temps de leur âge comme s'entraîner à faire claquer le fouet, tailler des sifflets ou enfiler sur un fil de lin des noyaux de baguenaudier pour réaliser des chapelets rustiques, leurs maîtres façonnaient des claies (volètes) en lanières (chinons) tirées de coudriers (côris) pour les vendre aux fermiers avant l'arrachage des pommes de terre ou aux usines pour le transport des petites pièces ouvrées. Avec des ramilles de bouleau, ils fabriquaient des balais (ramons) qu'ils livraient par douzaine à des marchands ambulants à destination des balayeurs des villes. Dans les taillis, ils coupaient des manches d'outils ou aussi des cannes qu'ils avaient courbées sur pied l'année précédente et qu'ils offraient avec boutade aux vieillards qui les accueillaient. Comme les hommes des bois, au courant des mœurs du gibier eussent-ils pu résister à l'envie de braconner? C'eût été de leur attribuer vraiment trop de désintéressement alors qu'il était si facile de tendre quelques lacets aux grives ou de disposer une bricole dans une coulée de lièvre au moment de la pleine lune. Evidemment ces opérations comportaient des risques mais la solidarité n'était pas un vain mot chez nos pastoureaux… Quand sur la lande retentissait un sifflement strident suivi de l'appel bizarre: "Hé hou! La wawa! Lancé par le porcher, aussitôt repris en écho par un autre confrère, le herdier savait que le garde était dans les parages et qu'il était prudent de se tenir dans la légalité… Ces appels étaient une tradition dans la corporation. Cris, langage musical, sifflements ont de tout temps servi aux pasteurs pour correspondre entre eux. Que ce soit pour se saluer d'une colline à l'autre, annoncer leur rentrée au village ou hucher une bergère amie, ils modulaient d'une façon spéciale des sons tirés du chalumeau, de la flûte, du sifflet ou chantaient le liolo ou le relalaye. Ces chants pastoraux ne comprenaient que trois notes, vocalisées comme dans les tyroliennes et assorties d'un texte célébrant la nature, les charmes de la vie champêtre. Quand une voix quelque peu exercée les entonnait dans la solitude des bois et des champs, ils exprimaient une telle mélancolie qu'on ne pouvait y rester insensible. Les pâtres organisaient des concours de chant où chaque participant interprétait ses propres compositions: duo amoureux, moqueries envers de jeunes bergers, aventures comiques ou refrains bucoliques. Ces rencontres se terminaient toujours par le liolo repris en chœur par tous les assistants. Mais revenons à la herde que nous avions laissée au repos. Quand les bêtes avaient fini de ruminer, commençaient à s'agiter, le herdier donnait le signal du départ en cornant d'une façon particulière. Elles comprenaient vite le sens de cet appel, se levaient et suivaient docilement la sonnaille de la maîtresse vache. Toute la vesprée, elles continuaient leur lente progression dans les terres incultes et, au déclin du jour, la panse bien remplie, reprenaient le chemin du retour. Prévenus par des coups de trompe répétés ou par le chant du liolo, les enfants attendaient la herde à l'entrée du bourg, au "sevradge" pour récupérer leur bétail respectif et le reconduire à domicile. Mais au bout de quelques jours, le troupeau se disloquait de lui-même au passage devant les étables. Chaque pensionnaire reconnaissant son gîte, le rejoignait sans aucune sollicitation. Rarement cette mémoire des lieux faisait défaut chez les bovins où les méprises étaient exceptionnelles. Chez les moutons et les porcs, plus enclins au grégarisme, les désertions étaient fréquentes, cependant grâce aux lettres marquées dans la laine ou les soies, les fugueurs étaient vite identifiés. Ils passaient la nuit avec leurs compagnons d'aventure et le lendemain soir, réintégraient normalement leur ferme. Ces retours imposants des troupeaux aux crépuscules, comme d'ailleurs les départs claironnants au lever du soleil, sont restés des scènes traditionnelles de la vie paysanne. Chantés par les poètes, ces tableaux bucoliques ont sensibilisé notre enfance et se sont figés en des images stéréotypées empreintes de paix pastorale et de poésie champêtre. Mais ces peintures idéalisées masquent une réalité souvent moins plaisante. Ces randonnées quotidiennes s'achevaient fréquemment dans la brume automnale, sous l'orage ou même avec les soudaines bourrasques de neige… La vaine pâture était le droit qu'avaient les habitants de faire paître leurs bestiaux sur les terres non clôturées pendant la période où elles sont en repos, c'est-à-dire quand elles sont entièrement vides de leurs récoltes, ainsi que sur les terres vagues dépendant de la commune. Le parcours est le droit de vaine pâture réciproque entre deux ou plusieurs communes. Ces servitudes remontent à une époque fort ancienne et furent instituées par les seigneurs locaux pour favoriser les petites gens, les manants dont les ressources fourragères étaient trop maigres. De tolérances qu'elles étaient à l'origine, elles furent avec les années, consacrées par l'usage et devinrent coutumières et imprescriptibles, considérées comme un droit par le Code Rural de 1886. Autrefois, l'agriculture végétait. La pénurie d'engrais obligeait les paysans à laisser le sol se reposer un an sur trois ou quatre. Restait donc en jachère un tiers ou un quart des parcelles où le bétail pouvait paître en permanence, ce qui ne portait aucun préjudice au propriétaire puisque ces terrains recevaient gratuitement une fumure régulière. Quant aux prairies, elles subissaient seulement une coupe par année; la seconde herbe ou regain, peu abondante, était abandonnée à la herde. Les "prés de la Saint-Jean" doivent leur appellation au fait qu'après le 24 juin, on pouvait les pâturer en toute liberté. Un peu partout, l'exercice de ces deux droits débutait officiellement le 15 octobre pour finir avec les travaux printaniers, le 1er mars. Sur le plateau, à Bertrix, par exemple, on "r'mêlait" déjà à partir du deuxième dimanche de septembre. La glandée était un droit à peu près identique autorisant les gardiens de pourceaux à mener la sonre dans la forêt en automne, au moment de la chute des glands et des faînes, ordinairement d'octobre à février. Cette coutume de la vaine pâture avait des avantages; elle permettait à la herde qui ne quittait pas la proximité du village de rentrer à midi, pour repartir ensuite jusqu'à la tombée de la nuit. Cela se soldait par moins de fatigue pour les vaches, pour les veaux surtout, par des traites mieux réparties, par un lait plus abondant. Mais que de soucis pour les pâtres devant redoubler de vigilance quand les bêtes côtoyaient des champs de betteraves ou de rutabagas dont elles raffolaient ou quand elles restaient trop longtemps dans des parcelles de regain, risquant ainsi la météorisation, redoutée des "herdîs". Malgré une forte tendance à les abolir, le Code Rural maintint cependant la vaine pâture et le parcours mais créa deux moyens de s'en affranchir: le rachat moyennant indemnité et l'autorisation de clôturer les propriétés. Cette loi donnera un coup mortel aux troupeaux communs dont l'aire de subsistance va se réduire de façon sensible. On n'en comptera presque plus au début du 20e siècle. Disparaîtront les premiers, les vachers, suivis des bergers. Les fermiers confieront plutôt la garde de leur bétail à des indigents ou à leurs enfants en âge d'école. En 1926, le Djean doul Djène conduisait encore la sonre dans les bois de Bertrix; c'est d'ailleurs dans l'Ardenne méridionale que le porcher subsiste le plus longtemps. A la même date, à Herbeumont, le "gadlî" est toujours employé. Les progrès réalisés dans le domaine agraire, les boisements intensifs et les mesures édictées dans la lutte contre les maladies infectieuses incitèrent le législateur à abolir définitivement ces coutumes devenues archaïques et sans objet. La disparition des derniers troupeaux enlevait à nos villages un spectacle que l'habitude avait consacré. Matin et soir, il se renouvelait apportant chaque fois une note divertissante dans la vie des communautés. C'était la poésie champêtre attachée au paysage depuis toujours, le charme des aubes et des crépuscules mouvementés qui s'estompait dans la monotonie des tâches quotidiennes, désormais sans aventures. Les pâtres ont suivi les herdes dans l'effacement. Extrait du bulletin annuel "Terres d'Herbeumont à Orchimont" n° 9/1983
Histoire d'un fait réel vécu, jadis, dans la région de Jéhonville-Acremont
Dans l’ancienne Ardenne, l’animal le plus redouté était certainement le loup. De nombreuses légendes, tissées autour de ses exploits, grossies de mille détails plus ou moins authentiques, l’ont installé dans le folklore où il apparaît comme un être démoniaque, sanguinaire, malfaisant. La tradition a aussi rapporté des histoires réelles montrant la haine farouche qui a toujours opposé les chiens bergers à leurs ennemis héréditaires et la lutte sans merci que les premiers leur ont livrée, parfois avec un courage admirable, pour défendre le troupeau dont ils avaient la charge. C’est un de ces faits que nous allons narrer, un fait vécu où, hélas ! Le berger n’a pas le plus beau rôle… Je ne citerai pas le lieu qui fut le théâtre de ce drame celui-ci aurait tout aussi bien pu se dérouler dans n’importe quel village puisque alors les bêtes à laine se comptaient par centaines et chaque métairie disposait d’un pâtre pour s’occuper essentiellement de la bergerie. Encore fallait-il que ce dernier ne réagît pas autrement que l’original, ce qui, tout de même devrait limiter les possibilités… Le personnage de ce conte, que nous nommerons Nicolas, ou plus familièrement Colas, était entré tout jeune au service d’un gros fermier et assumait avec dévouement, depuis plus d’un demi-siècle, les fonctions de berger. C’était un homme déjà, grisonnant, au corps épais, tassé par l’âge et les longues randonnées dans les landes. Sa démarche en gardait lourd souvenir et s’accompagnait d’un lourd déhanchement qui semblait le faire hésiter à chaque pas comme s’il voulait tester le sol qui le portait. Le vent sauvage avait hâlé son visage rustique aux lignes d’ébauche. Dans ses yeux, aucune lueur de grande intelligence sinon parfois un bref éclair qui pouvait être l’indice d’un homme violent, vulnérable à la colère et prompt à passer aux actes les plus expressifs. Son chien Carou n’avait pas meilleur maître. Un chien tout ordinaire pourtant, au poil rude, pas tellement bien de sa personne mais qui était tout en deux grands yeux clairs, pleins de vie et d’affectueuse soumission. Avec lui, il partageait sa pitance journalière, lui réservant toujours un os pas trop décharné, une pomme de terre cuite sous la cendre ou bien une tanche de pain brisée dans un bol de lait. Toute initiative de Carou dans son travail était récompensée par des caresses, des mots chaleureux. Ces attentions répétées avaient créé entre eux une amitié réciproque faite d’estime et de reconnaissance. Si sincère que jusque dans ses prières aux dieux des champs, le berger n’oubliait jamais son fidèle serviteur. Si loyal que celui-ci aurait donné sa vie pour secourir le maître qui l’avait adopté. Et cependant, on racontait qu’une fois, lors du dressage, il avait dans une rage folle, fouetté durement ce même Carou qui s’en était tout de même tiré on ne sait par quel miracle. Il ne l’avait pas frappé sans raison. Le chien, alors encore en apprentissage, oubliait parfois les leçons apprises et s’abandonnait inconsciemment à ses instincts juvéniles. Sa faute ici, était grave et préjugeait mal pour le métier de gardien auquel on le destinait. Il s’acharnait sur un pauvre mouton indocile qui, épuisé, n’avait même plus la force de fuir et se laissait hacher sur place… Ni les appels, ni les menaces, ni même le cuir qui lui cinglait les reins n’arrêtaient l’ardeur meurtrière du jeune chien, devenu fou à l’odeur du sang… Le maître n’avait pu se contenir davantage. L’intervention fut brutale, sans faiblesse. Toutefois, Carou en revint mais jamais plus ne récidiva. Bien des années ont passé… Assagi, Carou a pris au sérieux son rôle de gardien et voué au troupeau une véritable affection. Seuls les chiens bergers savent aimer de la sorte. Certes, ils doivent souvent réprimer quelques tentatives d’indépendance, mais rarement avec sévérité. Les pâtres vous diront que leur autorité repose pour une grande part sur la vigilance de ces vaillants auxiliaires. Ce soir-là, le troupeau était revenu de sa promenade habituelle dans les paquis herbeux. Tout ce monde bêlant, fatigué mais repu s’était engouffré dans la bergerie comme un torrent d’écume dans une grotte obscure. Puis, silencieusement, chaque animal se casait entre ses voisins et se couchait tant bien que mal sur la molle litière pour y passer la nuit. Après avoir vérifié les issues, poussés loquets, le berger, rassuré, partit pour de bon. Son galetas était dans les combles du bâtiment principal, qu’une large cour séparait des annexes. Colas avait couru tout le jour et n’était pas fâché de retrouver son lit. Aussitôt couché, il sombra dans un sommeil peuplé de rêves confus, sans se douter que l’aube qui approchait allait le placer devant un dilemme tellement cruel qu’il en fut marqué pour le reste de ses jours… A peine a-t-il franchi le seuil qu’il est assailli d’un noir pressentiment… Colas fait quelques pas dans sa direction et découvre la raison de ce comportement insolite… un monceau de laine ensanglantée d’où émergent trois têtes de mouton… Ainsi tout s’explique… Un souvenir ancien surgit dans la mémoire du berger. Il revoit Carou, avec un recul de douze ans, s’acharnant sur une malheureuse brebis, déchirant à belles dents cette chair chaude, palpitante, revenant à la curée avec un plaisir sadique. C’était donc cela! Un chien bon à rien. Tout prêt à recommencer… Subitement, un flot de colère empourpre le visage de l’homme envahit le cerveau, submerge tout son être. Il ne raisonne plus, il subit une force qui abolit tout sentiment. Comme fou, il court droit vers le réduit voisin, prend le fusil toujours armé et revient vers Carou qui regarde, indécis, ce manège anormal… La colère du berger est tombée tout d’un coup à la vue du vieux compagnon agonisant. Grande fut leur surprise quand, sous les corps meurtris, apparaît le cadavre d’un loup… Pendant la nuit, un de ces forbans était parvenu à s’introduire dans le bercail et à surprendre trois brebis dans le sommeil. Mais Carou veillait… qui se jette sur l’intrus et réussit au cours d’une lutte farouche, à le mettre hors d’état de nuire. Alors, en bon gardien, pour que l’odeur du fauve n’affole pas le troupeau, le brave chien traîna le corps des moutons sur celui du loup et attendit le venue du maître… Celui-ci pleura la mort de son compagnon car véritablement il l’aimait, mais ne se pardonna jamais son erreur. (Extrait de "Terre d’Herbeumont à Orchimont" – N° 1/1975)
L'année 2014 est consacrée à la commémoration du 100e anniversaire de la déclaration de la guerre 1914-1918 et à cette occasion, nous vous offrons la possibilité de prendre connaissance d'articles parus dans nos publications épuisées et de les copier pour votre usage personnel. Extrait du Bulletin annuel n°4 /1978 "Terres d'Herbeumont Orchimont" Maissin, 22 et 23 août 1914 par René THOMAS Depuis le 1er janvier 1977, la charmante localité de Maissin, dominant le cours sinueux de la Lesse, fait partie de l'entité du grand Paliseul. Entrant ainsi dans le secteur du cercle "Terres d'Herbeumont à Orchimont", il nous a paru intéressant de retracer l'histoire de ce village.
et en plus, la Cavalerie le 2e Chasseurs de Pontivy, deux régiments de réserve: les 293e et 337e R.I. et le Génie. Extraits de notes (I) "Dès le 2 août 1914 s'opère la mobilisation du XIe Corps d'Armée. Le XlXe régiment d'infanterie en garnison depuis mars 1871, quitte Brest au milieu de l'enthousiasme indescriptible de la population. En chemin de fer, par bataillons échelonnés, il contourne Paris et dans toutes les gares c'est le même accueil de la population. Dans la nuit du 9 au 10 août, le régiment débarque aux stations d'Autruy et de Challenges, dans l'Arrondissement de Vouziers; l'axe de marche étant plein Nord, le régiment, par étapes successives, après avoir franchi la Meuse à Remilly, atteignit Douzy sur le Chiers à 8 km à l'Est de Sedan, dans la nuit du 16 au 17 août. Le Régiment devait y passer quatre longues journées employées à des exercices dans les grandes prairies bordant le Chiers et à des travaux de défense sur les hauteurs de la rive gauche de la Meuse. Cette lenteur de marche d'approche irritait les hommes désireux d'aborder l'ennemi.." Extraits de notes (II) "Enfin le 21 août vers midi, le régiment quitte Douzy, franchit la frontière belge après le village de Pourru-au-Bois, est reçu avec enthousiasme par la population belge, atteint la Semois à Dohan, où il est pris sous un violent orage accompagné de pluies diluviennes, mais nos vaillants troupiers, trempés jusqu'aux os, demeurent stoïques. Ils atteignent dans la soirée le village de Les Hayons où ils cantonnent... Des bûchers sont allumés devant lesquels sèchent les capotes". Extraits de notes (III) "Ordre général pour le 22 août du 11e C.A. Le 2e chasseurs se portera sur Maissin en éclairant Our-Maissin-Anloy. Le 11e C.A. marchera sur Maissin en deux colonnes. A droite (22e D.I.) par Paliseul (Partie Est) Maissin - Avant-garde – 19e R.I. 3e peloton de cavalerie (Colonel Chapes) couvrira vers l'Est le flanc droit de la D.I. à partir de Paliseul par un bataillon poussé vers Framont, direction Moulin de Villance - A gauche 21e D.L. par Paliseul (partie Ouest) Opont-Our-Maissin. Les avant-gardes déboucheront de Paliseul à 9 heures. Prise de contact Le Général Eydoux commandant le Xle corps d'armée installe son quartier général à Paliseul. Extrait de lettre d'un ancien du 2e bataillon du 19e R.I. (Lettre du 30 octobre 1978). "J'étais en août 14 adjudant de bataillon du 2e bataillon, donc toujours près du chef de bataillon. Je me souviens: venant de la droite (Nollevaux je crois), le régiment est arrivé sur la place de Paliseul où il a formé les faisceaux. Les habitants charmants distribuaient aux hommes des cigarettes et nous disaient que les Allemands n'étaient pas loin. A notre arrivée, il y avait sur la place le Général Eydoux et deux ou trois généraux. Mon Colonel fut appelé et revint pour rassembler ses chefs de bataillons et leur donner des instructions. C'est ainsi que j'appris que notre 2e bataillon était flanc-garde de la division et devait déboîter par la route de Framont pour occuper le bois qui domine à l'Est le village de Maissin et la route vers le Moulin de Villance et Transinne..." Extraits de notes (IV) "Tandis que le 2e bataillon (Commandant de Laage de Meux) oblique à droite sur la route Framont - Anloy, les 1er et 3e bataillons marchent directement en colonne par la route Paliseul - Maissin. A mi-chemin, le peloton du 2e chasseur, pointe d'avantgarde, revient annonçant qu'il a été arrêté par des feux nourris partant de la lisière Sud de la localité. Au passage à niveau (passage à niveau du tram actuellement disparu), à hauteur de la Bellevue, les deux bataillons délaissent la route et pénètrent dans le bois du Hautemont (Bois de Haumont) en deux colonnes de sections de quatre. Quelques fusants de 77 Allemands éclatent sans causer de mal à notre infanterie qui atteint bientôt la lisière Nord du bois face à Maissin où s'allument déjà quelques incendies... Le Général de division fait dire au Colonel Chapes de ne pas entrer dans Maissin avant que les deux groupes d'artillerie du 35e R.A.D. en mouvement aient pu entrer en action. Il est environ 12 h 30. Combats corps à corps à la Baïonnette: Extrait d'une lettre d'un ancien combattant du 137e Régiment d'infanterie à Fontenay-le-Pointe en Vendée (ayant combattu à Maissin). (7) "Les Allemands n'aimaient pas la baïonnette cependant que les leurs étaient plus plates et plus longues... Quand la baïonnette traversait les os de l'épine dorsale, il fallait mettre le pied sur le blessé pour l'extraire... C'est horrible." Horreur du champ de bataille: "Sur la plaine devant Haumont, les Français sont si nombreux qu'ils paraissent tombés coude à coude. Tel au temps de la moisson, un champ de blé parsemé de bluets et de coquelicots, telle après le combat apparaissait la plaine devant Haumont, jonchée d'uni-formes français... Dans les rues, près des maisons en ruines, dans les vergers, Français et Allemands sont entremêlés... d'aucuns sont tombés empalés sur leurs armes réciproques. " (8) Repli français Dans la nuit, les ordres de repli atteignent tardivement les chefs de corps... Les unités de la 21e D.I., voyant la déroute de l'ennemi, ne comprennent pas et grommellent... Vers 23 h, la 22e D.I. amorce le repli vers Paliseul mais dans Maissin le Colonel Chapes du 19e R.I. n'a jamais reçu l'ordre de repli. Il reste... Il met le village en défense pour la nuit. Bien lui en prit, car les premiers éléments de la 15e D.I du VIII C.A. allemand, ayant parcouru 45 km en une étape, arrivent à la nuit tombante à Villance et relèvent la 50e Brigade en déroute... Au cours de la nuit, trois assauts furieux sont lancés sur Maissin et le 23 août, à 6 heures du matin, les fantassins français repoussent héroïquement les assauts... L'ennemi se retire mais le Colonel Chapes apprend le repli des unités se trouvant derrière lui. Il est complètement en flèche. Profitant du brouillard survenu à la suite des orages de l'avant-veille, le 1er bataillon du 19e R.I. se dégage facilement, mais les autres bataillons se heurtent à des troupes fraîches allemandes et subissent des pertes. La 3e Compagnie du 19e R.I. qui occupait la gare de Maissin (Route de Villance) et ses abords, n'a pu être touchée à temps par l'ordre de repli. Encerclée par les Allemands. elle résiste jusqu'à 10 h 30. A bout de munitions, les derniers défenseurs sont fait prisonniers et faillirent être passés par les armes. La bataille de Maissin est terminée Bilan: Le village a beaucoup souffert: 66 maisons sont réduites en cendres et neuf habitants, dont certains fusillés, périrent dans le combat. * Suite au succès remporté par l'ouvrage "La Mairie de Paliseul au Duché de Bouillon, principaux repères historiques de 747 à 1795" M. Jean Istace a voulu poursuivre l'histoire de son village natal dans un 2e livre où il raconte, archives à l'appui, la fin du Duché de Bouillon, son annexion à la France et son évolution sous le régime républicain et la période napoléonienne. On y retrouve le nom des jeunes soldats paliseulois tombés sur les champs de bataille au service de la France et bien d'autres renseignements. Ce bel ouvrage renferme:
Bulletin hors-série
Jean ISTACE, " PALISEUL sous le Régime français 26 octobre 1795 (4 brumaire an IV) – 1 décembre 1815" comporte les chapitres suivants: - La situation de la mairie avant l'annexion Cet ouvrage de 88 pages en format A4, est vendu au prix de 15 € + frais de port.
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